Dans la lignée de Barbara…
Anne Zelensky : Tu es dans la lignée de Barbara que tu admires tant, et qui renvoyait à ses chansons. Alors, parle-nous de ton travail artistique. Le nombre incalculable de chansons que tu as écrites et composées est impressionnant. D’où c’est parti ?
Emmanuelle Escal : Tu évoques Barbara. C’est elle, justement qui m’a donné l’envie d’écrire des chansons. La découvrir a été un choc artistique et affectif même. J’étais adolescente et mal dans mes pompes. Barbara me parlait intimement de ce que je ne savais pas nommer, un certain mal-être. Je me suis sentie moins seule. Et l’élégance de ses chansons ! Chanter le mal de vivre sans peser, la simplicité de ses mots, sa façon de bouger sur scène, sa silhouette, son visage qui m’émouvait tant !
Anne Zelensky : Quel amour pour cette artiste !
Emmanuelle Escal : Oui, je suis une inconditionnelle. En l’écoutant, j’ai compris que la chanson, cette chanson-là, serait mon mode d’expression. J’aime les mots, j’aime la musique. C’était parti. C’est parti d’elle. Même si je dois beaucoup à Léo Ferré, à Brel, à Ferrat, à Anne Sylvestre et quelques autres…
Première chanson…
Anne Zelensky : Ta première chanson, à quel âge l’as-tu écrite ?
Emmanuelle Escal : Je devais avoir 14 ou 15 ans. J’allais planter mon chevalet à Montmartre, avec un peintre que j’avais rencontré à l’atelier de Montparnasse où je dessinais des nus. Un jour, en descendant de la Butte, j’ai croisé une prostituée qui arpentait le trottoir. Elle avait l’air si triste, cela m’a frappée. J’ai écrit ma première chanson sur cette femme.
Anne Zelensky: Cela disait quoi ?
Emmanuelle Escal : Les premiers mots, c’était : « Pigalle/S’trimballe/Une putain/ Mutin/ Au regard/Blafard/ Dans le froid/ Qui la broie…
Anne Zelensky: Je connais cette chanson. Elle est courte et percutante, très mature pour une petite ado qui venait de sa province…
Emmanuelle Escal : Oui, la France profonde. La belle profondeur de la France… C’est vrai que j’étais mûre pour mon âge. Je fréquentais des gens plus âgés que moi, avec les jeunes, je m’ennuyais ferme. Sauf avec ma bande d’ami(e)s d’enfance que je retrouvais avec plaisir, l’été, dans mon Gard. Nous nous étions pratiquement tous connus au berceau, cela crée des liens…
Anne Zelensky : Tu n’as jamais vraiment cessé de créer depuis cette première chanson.
Emmanuelle Escal : Non, jamais vraiment, car dans ma tête, il y a toujours des mots et des musiques, même si je ne les écris pas, ils sont là. Je dois dérailler un peu…
Anne Zelensky : Tant mieux pour nous que tu ne sois pas sur les rails ! Cela t’épuise parfois cette création. Tu dis qu’elle bouffe ta vie, que tu voudrais que cela s’arrête quand ça s’emballe trop.
Emmanuelle Escal : Oui, c’est vrai, cela va trop loin par moments. Mais on ne choisit pas. La création est du domaine de l’inconscient. C’est lui qui tient les rennes. Quand cela me tombe dessus, bonjours l’insomnie ! Mais dois-je me plaindre d’être ainsi « visitée » ?
Anne Zelensky : Tu as heureusement pour ta santé des plages de « silence ».
Emmanuelle Escal : Ah oui, je ne « déraille » pas 24 h sur 24 ! Ce ne serait tenable ni pour moi ni pour toi.
L’amour comme projet…
Anne Zelensky : Parle-nous de cet album que tu sors.
Emmanuelle Escal : Grâce à toi qui m’a soutenue dans cette aventure.
Anne Zelensky : Il ne se serait pas fait sans toute l’énergie que tu as déployée. Tu m’as impressionnée.
Emmanuelle Escal : C’était peut-être un des buts, de t’impressionner ! J’admire tant tes combats, ton courage, tes livres…
Anne Zelensky : C’est réussi ! Ce disque est plein d’émotions, ta voix est belle, les mots et la musique aussi. Tu nous parles dans l’intime tout en restant pudique, tu nous fais partager le meilleur de toi. Cela ne ressemble à rien de ce que l’on entend.
Emmanuelle Escal : Merci.
Anne Zelensky : Je sais à quel point la médiocrité et la vulgarité de ce monde te font souffrir. Tes créations élèvent l’esprit. Tes mots sont simples et beaux. Tu es une poète et une mélodiste.
Emmanuelle Escal : …. |
Photo de Carole Roussopoulos
Photo d’Anne Zelensky Photo de Christophe Laporte |